Le savoir-faire du franchiseur : chimère ou réalité?

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Par F. Georges Sayegh

Le savoir-faire du franchiseur : chimère ou réalité?

F. Georges Sayegh, D.S.C., Adm. A., C.M.C. du Québec et de l'Ontario, est expert-conseil en franchise et transfert de technologie et auteur de 18 livres sur les franchises et les commerces associés. Visitez sa page de consultant

Pour le rejoindre : gsayegh@gsayegh.com Tél.: (514) 216-8458.



Par un beau matin ensoleillé de fin d’été, monsieur Malheureux, commis à la perception de la municipalité de Bienvenue depuis 20 ans, décide de changer de carrière et d’adhérer à un réseau de franchises. Le manque d’expérience de M. Malheureux dans le domaine des affaires figure parmi les raisons principales de son choix.

À la suite d’une pub parue dans le quotidien Annonce-Tout, M. Malheureux a une première rencontre avec M. Grandmaison, courtier en franchises et représentant de plusieurs concepts. M. Grandmaison propose à son interlocuteur un nouveau concept de boutique : présentation superbe, brochures de quatre couleurs et tout le tralala.

À la deuxième rencontre, M. Grandmaison emmène M. Malheureux aux bureaux de la franchise Sans-Succès. Première impression : bureaux aménagés et décorés avec goût où les nombreux membres du personnel circulent sans arrêt ; bref, l’image donne bonne impression. L’on présente M. Malheureux à M. L’Enchanteur, responsable du développement ; à M. Lalumière, directeur de l’approvisionnement du réseau ; à M. Désolé, chef du marketing ; à M. Beausoleil, directeur des finances ; et à M. Bonsens, président du réseau. Après une poignée de mains et un échange avec chacune de ces personnes accompagnés de propos vides mais amicaux, M. Malheureux entre à la maison et raconte à sa femme ses impressions favorables.

Ont alors lieu la démission chez son employeur et le souper d’adieux. Viennent ensuite quelques questions adressées aux autres franchisés concernant certains points soulevés à la lecture d’articles de revues et de journaux. La rencontre avec le banquier requiert un peu plus d’énergie. Le banquier se fait tirer l’oreille mais finit par consentir à la somme nécessaire au démarrage de l’entreprise moyennant une hypothèque sur la résidence principale du couple Malheureux. Il recommande que madame conserve son emploi pour une brève période, le temps que l’entreprise puisse verser les deux salaires du couple et constituer un fonds de roulement.

La convention de franchise est enfin signée, puis, avec le promoteur immobilier a aussi lieu la signature du bail, que M. L’Enchanteur a négocié. Un des points saillants de cette négociation portait sur la division en deux du local qui avait abrité un restaurant alors trop vaste pour une boutique.

Les travaux d’aménagement débutent par l’équipe de M. Boisfranc, constructeur de son état et, soit dit en passant, neveu de M. Bonsens. De petits problèmes se manifestent :

1 -  Pour multiples raisons, la ville retarde de trois semaines la livraison du permis de construction et de rénovation. Une fois les corrections apportées aux plans des travaux à effectuer, le feu vert est donné.

2 -  Les travaux sont malheureusement interrompus suite à une visite des inspecteurs de l’Office de la construction du Québec étant donné que les travailleurs ne détenaient pas les cartes nécessaires. Problème résolu à grand-peine.

3 -  Le local ayant été occupé par un restaurant, il faut creuser le sol de trois pieds pour en extirper le collecteur de résidus d’huile de friture.

4 -  La cuisine et les toilettes de l’ancien commerce doivent être démolies et il faut aménager ailleurs un bureau, un lieu d’entreposage, un vestiaire pour le personnel ainsi que des toilettes.

5 -  Les raccords du gaz naturel doivent être enlevés ; il faudra donc creuser plus loin que prévu.

6 -  Le mobilier fixe doit être arraché, démoli, mis dans des conteneurs et expédié au rebut.

7 -  Il faut agrandir la porte de la sortie de secours pour la rendre conforme aux nouvelles normes de sécurité de la ville ainsi que du code du bâtiment.

8 -  Il faut aussi rediriger complètement le système d’aération, lequel était conçu en fonction d’un restaurant qui occupait une superficie beaucoup plus grande.

Comme une bonne partie de ces travaux n’a pas été budgétisée, le banquier refuse d’augmenter le montant du prêt ; le couple puise donc dans le fonds de retraite de M. Malheureux pour combler le déficit.

Une fois terminées les difficultés liées aux travaux, le mobilier de la boutique arrive, et on peut enfin installer les étagères et autres meubles. Le stock de marchandises est livré. Oups! C’est du stock d’été plutôt que le stock d’hiver commandé. M. Malheureux signale l’erreur à M. Lalumière, qui lui explique que les deux mois et demi qu’ont duré les travaux de réaménagement ont fait en sorte qu’il a fallu acheter du stock d’hiver, car les fournisseurs refusaient de reprendre la marchandise. Pour remédier au problème au plus vite et profiter de la période des Fêtes, M. Malheureux n’a pas d’autre choix que d’emprunter sur le fonds de retraite de son épouse enseignante.

La formation est de deux jours et commence par un exposé de M. Lalumière qui explique comment compléter un bon de commande, comment l’expédier à la franchise Sans-Succès et comment vérifier la marchandise reçue. Vient ensuite M. Désolé, qui présente les façons de blaguer avec un client, que faire en cas de vol à l’étalage et en cas d’incendie. Enfin, M. Beausoleil explique le bon fonctionnement de la caisse électronique et comment compléter un rapport journalier des ventes et des débours de la caisse. Une rencontre avec les trois mêmes personnes, agrémentée de café, de brioches et de blagues couronne le tout.

Après publication d’une annonce dans les journaux et distribution de circulaires sur les pare-brise d’autos, l’ouverture du magasin a enfin lieu : un cocktail vin et fromage est servi ; un clown se balade dans le centre commercial et remet des coupons-rabais aux adultes ainsi que des ballons aux enfants.

Les trois semaines suivantes s’écoulent assez bien pour que M. Malheureux croie à la fin de ses tracas. Il considère cependant sa clientèle un peu âgée, ce à quoi M. Lalumière répond qu’il est trop tôt pour porter un jugement et revoir la marchandise et le mix produit. Le même jour, M. Malheureux reçoit une lettre du promoteur immobilier le sommant de payer le loyer en retard de deux mois et trois semaines. Pris de panique, n’ayant plus un seul dollar dans son compte d’épargne ou dans son fonds de retraite, il emprunte à sa famille pour combler le retard.

Un jour, l’inspecteur M. Nonchalant vient rencontrer M. Malheureux lui signifiant, document à l’appui, que les allées du magasin sont trop étroites et qu’il a trois semaines pour corriger la situation. Surpris, M. Malheureux appelle M. Bonsens, qui l’avise de commander des îlots moins larges bien que cela entraîne d’autres déboursés. Que voulez-vous, ce n’est la faute de personne ; il faut se plier aux règlements municipaux.

Furieux, M. Malheureux communique avec les autres franchisés et constate leur réticence à répondre à ses questions. Cela lui met la puce à l’oreille et il décide d’embaucher un bureau d’experts qui, après enquête lui fait part de ce qui suit :

  • Avant de se lancer dans le courtage d’affaires, M. Grandmaison vendait des maisons unifamiliales ;
  • MM. L’Enchanteur, Lalumière, Désolé et Bonsens sont parents par alliance ;
  • Six des huit franchisés sont de la parenté de M. Bonsens ; la septième franchise appartient à deux amis de M. Lalumière ; et la huitième, qui a à peine deux mois d’existence, est celle d’une personne étrangère au groupe référé par M. Grandmaison ;
  • M. Enchanteur, qui a travaillé quatre ans pour un propriétaire de complexes pour personnes âgées, a négocié les baux préétablis par les avocats du promoteur immobilier. Il possède un diplôme d’études collégiales en administration ;
  • M. Lalumière était acheteur de fruits et légumes dans un supermarché en Abitibi. Il a un diplôme universitaire en littérature ;
  • M. Désolé a travaillé pendant neuf ans à titre de vendeur dans une imprimerie. Il n’a pas terminé ses études secondaires ;
  • M. Beausoleil occupait auparavant un poste de superviseur de retours de marchandises dans une entreprise pharmaceutique ; il détient un certificat d’études universitaires en mathématique ;
  • M. Bonsens était assistant-directeur d’une quincaillerie ; il a terminé ses études collégiales en design.

Pas étonnant que M. Malheureux ait eu autant de problèmes. Son entreprise a subi les conséquences directes du manque d’expérience et de qualifications du personnel du franchiseur : mauvaise planification des travaux d’aménagement, bail négocié sans exonération de loyer durant la période normale des travaux, manque de sérieux dans la préparation des prévisions financières. Quant à la formation, elle ne couvre ni les lacunes de M. Malheureux en gestion, ni le profil de la clientèle, ni l’approvisionnement, ni la campagne d’ouverture. Et - erreur grave mais combien fréquentes des entrepreneurs - on n’appelle les experts qu’une fois les pots cassés. C’est presque leur demander de pratiquer une autopsie plutôt que de poser un diagnostic.

Ces quelques semaines dans la vie d’un franchisé faisant confiance au soi-disant savoir-faire du franchiseur, constituent une histoire comme une autre. Ce savoir-faire existe-t-il? Au lecteur d’en juger et de poser les bonnes questions.

Stupéfait par ces faits, M. Malheureux, prépare un dossier au meilleur de sa connaissance. Accompagné de ses conseillers, ils soulèvent les constatations suivantes :

Le magasin était un ancien restaurant converti en boutique. Nulle part dans l’offre de location ou dans le bail a-t-il été question des faits suivants :

  • une exonération de loyer couvrant une période normale des travaux de construction et d’amélioration du local qui serait allouée ;
  • une exonération de  gratuité de quelques mois de loyer couvrant les améliorations locatives apportées au local ;
  • aucune clause dans la soumission de construction et de travaux effectués, ne prévoyait la démolition et l’enlèvement des rebuts occasionnant ainsi un investissement supplémentaire non budgétisé aux prévisions préparées avec M. Boisoleil ;

Voilà une péripétie que monsieur Malheureux a traversé contrairement à tout ce qu’il avait lu ou apprit à propos des avantages du franchisage, notamment qu’il :

  • est son propre patron tout en bénéficiant du support de son franchiseur ;
  • bénéficie du savoir faire du franchiseur à l’évaluation de l’emplacement qui correspond à des critères rigides ;
  • obtienne un local à des conditions exceptionnelles ;
  • bénéficie de plan d’aménagement très complet ;
  • bénéficie de l’identification du mobilier, de l’agencement et de la conception du projet par un personnel qualifié ;
  • bénéficie de l’intervention des professionnels (architectes, designers) du franchiseur qui implantent à la fois la logistique du mobilier que l’agencement du magasin ;
  • bénéficient des conditions d’approvisionnement appropriées à son exploitation ;
  • bénéficie d’une aide à la formation en matière d’ateliers sur les compétences en vente au détail, d’amélioration des taux de participation grâce à la vente suggestive, de la formation aux compétences, de la gestion des clients difficiles, du recrutement, embauche et intégration de membres du personnel, de la gestion du temps pour les exploitants et leurs gestionnaires, de gestion des performances et techniques de gestion, de commercialisation, pour ne nommer que cela ;
  • bénéficie de l’expérience du personnel du franchiseur à la composition du stock de départ et à la bonne gestion des inventaires ;
  • bénéficie de la recherche, créativité, développement et mise au point de nouveaux produits ;
  • pour nommer que cela.

 

Cet exercice nous dévoile que le franchisé n’a pas fait ses devoirs en examinant :

La société de franchise

1.    Quel est le type et le secteur d'activité dans lesquels le franchiseur est engagé?

2.    Quelle est la structure de l'entreprise et l'organisation du franchiseur?

3.    S'il s'agit d'une filiale d'unesociété mère:

a)    quelles sont les autres entreprises que lasociété mèrepossède et exploite?

b     est-ce qu'il a déjà franchisé un autre type d'entreprise?

c)    est-ce que l'un de ces autres concepts sera en concurrence ou en conflit avec la franchise actuelle?

d)    si le franchiseur a d’autres filiales en concurrence avec la franchise, comment le franchiseur prévoit-il que la franchise actuelle réussisse?

4.    Depuis combien de temps le franchiseur est-il en activité, à la fois en tant que propriétaire magasins en propre (magasins corporatifs/Corporate stores) et en tant que société de franchise?

5.    Quelle est la réputation du franchiseur parmi les autres franchiseurs du même secteur?

6.    Quelle est sa réputation parmi les franchises concurrentes dans la région?

7.    Quelle est la taille du franchiseur : en nombre de franchises, d'unités en propre par rapport aux établissements en franchises?

8.    Combien de franchises de la même entreprise sont situées dans le même territoire, la ville la région métropolitaine et la province?

9.    Combien de franchises l'entreprise compte-t-elle ouvrir au cours des 12 prochains mois, 3 ans et 5 ans?

10.  Comment compte-t-il concurrencer d'autres réseaux de franchises?

11.  Combien de franchises appartiennent à des dirigeants et à des membres de sa famille élargie (conjoints, enfants, cousins, oncles et tantes, grands-parents, etc. - ou sociétés, sociétés de personnes ou entreprises contrôlées par eux?

 

À propos de la gestion

a)    Qui sont les principaux dirigeants, administrateurs, partenaires, gestionnaires de la société de franchise?

b)    Quel est le niveau d’expérience et avec qui chacun des cadres supérieurs et des chefs de département a-t-il une expérience dans l’industrie de la franchise?

c)    Quelles étaient les positions précises de chacun de ces dirigeants et cadres au cours des cinq dernières années?

d)    Quel a été le succès des sociétés précédentes de la direction?

e)    Quelle a été l'expérience et la réussite de chaque gestionnaire, dirigeant, associé ou directeur dans le domaine de la franchise en particulier et dans l'industrie en général?

 

Voilà autant de questions que de réponses qui représentent la pointe de l'iceberg que M. Malheureux auraient dû couvrir parmi tant d'autres si non de s'entourer de spécialistes dans le domaine de la franchise.